Selon les résultats d’une récente enquête de la BBC menée auprès de plus de 55 000 participants, les jeunes se sentent plus seuls que les autres catégories de la population. Quelque 40 % des 16-24 ans déclarent ainsi se sentir souvent ou très souvent seuls. Cette tendance a été observée dans d’autres sondages d’ampleur nationale menés par le Projet Éden en 2015 et le Bureau des statistiques nationales britannique en 2017.
La solitude est en général associée aux personnes âgées qui vivent seules ou sont moins en mesure de sortir et de faire des rencontres. Mais les jeunes peuvent se sentir seuls même s’ils ont des amis, des camarades de classe et des parents attentifs. Leur sentiment de solitude résulte donc davantage d’une difficulté à se lier aux autres que d’un isolement physique.
Aujourd’hui, nous disposons de plus de moyens que jamais pour communiquer : les réseaux sociaux, les messageries instantanées et même les jeux en ligne permettent d’échanger des messages et de partager ses expériences sans être nécessairement au même endroit au même moment. Cependant, des études montrent qu’un usage intensif d’Internet s’accompagne parfois de solitude, de phobies sociales et de dépression. Les jeunes étant les principaux utilisateurs des réseaux sociaux, certains s’inquiètent de l’impact de ces technologies sur leur santé mentale.
Dans son livre Seuls ensemble (Éd. L’Échappée), Serry Turkle, professeure de psychologie au MIT, explique que les gens préfèrent aujourd’hui communiquer par le biais des nouvelles technologies plutôt qu’en face à face. Or, les discussions en ligne ne sont pas aussi intimes et même si nous avons l’impression d’être en contact avec les autres en permanence, cela génère en fait un sentiment de solitude.
La solitude peut affecter notre santé mentale et physique
Dans notre article scientifique récemment publié sur les liens entre solitude et usages d’Internet, mes collègues de l’Université de Chicago et moi-même avons établi que l’utilisation des réseaux sociaux pouvait augmenter ou réduire ce sentiment, selon les habitudes des internautes.
Lorsque les réseaux servent à entrer en contact avec d’autres gens et à entretenir des relations déjà existantes, ils font diminuer le sentiment de solitude. Mais quand Internet remplace les interactions sociales hors ligne, cela produit l’effet inverse.
Pour comprendre pleinement le rapport entre solitude et réseaux sociaux, il faut avoir conscience du comportement de ceux qui se sentent seuls.
Pour 41 % des participants à l’enquête de la BBC, la solitude pouvait être une expérience positive. Passer du temps seul est important pour s’occuper de soi, réfléchir et stimuler sa créativité. Dans un autre article, mes collègues et moi exprimons l’idée que la solitude est utile car elle permet de sentir que nous sommes isolés et nous encourage à nous rapprocher des autres.
Toutefois, la situation devient problématique quand nos tentatives pour aller vers les autres se soldent par un échec. Dans ce cas, la solitude peut finir par affecter notre santé mentale et physique. Quand les gens se sentent seuls, ils cherchent à éviter d’être rejetés ou ostracisés par leurs pairs. Cela les conduit à prêter une attention particulière aux émotions négatives : ils remarqueront facilement les signes de colère et de frustration dans le discours de leurs interlocuteurs, par exemple.
Cet accent sur les aspects négatifs des rapports sociaux pousse les personnes solitaires à rester dans leur coin et se taire lorsqu’elles sont en compagnie d’autres gens. Si cela dure trop longtemps, elles peuvent en venir à éviter carrément ce genre de situation. Leur comportement les rend vulnérables lorsqu’elles utilisent les réseaux sociaux, car elles sont plus susceptibles de repérer les informations négatives publiées en ligne, de regarder les publications des autres sans rien oser partager elles-mêmes et, de façon générale, de se servir de ces réseaux d’une façon qui risque d’aggraver leur isolement.
Changer ses habitudes
L’étude de la BBC montre que les solitaires ont plus d’amis en ligne que dans la vraie vie, ce qui pourrait indiquer qu’il se connectent pour se sentir liés à d’autres personnes mais ont tendance à éviter les rencontres réelles en face à face. Cela dit, des recherches suggèrent que ce n’est pas toujours le cas : certains passent du temps en ligne pour communiquer avec des membres de leur famille ou des amis qui vivent trop loin pour qu’ils puissent les voir en personne.
Les jeunes qui se sentent déjà seuls, qui sont mal à l’aise en société ou qui ont du mal à se faire des amis utilisent les réseaux sociaux de façon moins positive et constructive. Il se peut qu’ils aient besoin d’aide pour changer leurs habitudes, mais ils peuvent déjà faire un premier pas en communiquant activement avec d’autres internautes et en évitant de passer trop de temps à lire simplement les statuts de leurs contacts, ou à regarder des vidéos sur YouTube.
Bien sûr, se connecter pendant de longues périodes sans interagir avec personne aggrave l’isolement des internautes. Communiquer en face à face avec les autres est important, et chacun doit prendre le temps de le faire. Mais les nouvelles technologies ne sont pas, en elles-mêmes, responsables de la solitude des jeunes, puisque les smartphones et les réseaux sociaux permettent aussi d’entrer en contact avec les gens, de se faire de nouveaux amis et de partager ses expériences.
Les jeunes qui se sentent seuls peuvent améliorer leur situation en faisant en sorte que le temps passé en ligne complète celui qu’ils passent en compagnie d’autres personnes, au lieu de s’y substituer.
Traduit de l’anglais par Iris Le Guinio pour Fast for Word.
Rebecca Nowland, Research Fellow, University of Central Lancashire
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.